Mesurer, connaître, modéliser, comprendre

C’est principalement dans les années 1970 que l’on a commencé à acquérir des connaissances sur les eaux souterraines  . Actuellement la plupart des aquifères   en Poitou-Charentes sont dotés d’un modèle de gestion. Nous présentons ici les principaux outils mis en œuvre pour mieux connaître les eaux souterraines   qu’en général « on ne voit pas » contrairement aux eaux de surface.

Sommaire de l’article :

La cartographie des circulations des eaux souterraines

Les pompages d’essai : un moyen de connaître les caractéristiques du forage et de la nappe

Modéliser pour comprendre et prévoir

A quoi servent les modèles maillés ? Quelques exemples

La cartographie des circulations des eaux souterraines  

Contrairement aux eaux d’un cours d’eau, les eaux souterraines  * présentent la particularité qu’elles ne se voient pas. Pourtant elles circulent dans le sous-sol entre les grains de la matrice rocheuse ou dans les fissures et conduits karstiques  , à des vitesses plus ou moins grandes. Les puits, les forages, les sources permettent de donner une image de ces circulations. En effet, la mesure de la profondeur de l’eau dans un forage permet de cartographier des courbes piézométriques* le long desquelles le niveau de la nappe   est à une égale altitude à une période donnée.

Mesure de la profondeur de l’eau dans un puits

La profondeur de l’eau dans un forage se mesure à l’aide d’une sonde piézométrique  , accrochée à un ruban métré, que l’on descend dans l’ouvrage. Lorsque la sonde atteint l’eau, un contact électrique se fait déclenchant une sonnerie et/ou un voyant lumineux. La lecture du ruban renseigne sur la profondeur de l’eau qui est ensuite ramenée à une cote topographique. Les mesures sont ensuite reportées sur des fonds géographiques, ce qui permet de dessiner des courbes d’égale valeur piézométrique   ou isopièzes.

En Poitou-Charentes, le caractère cyclique annuel de la plupart des aquifères   conduit à réaliser des cartographies en hautes eaux (mars-avril) et en basses eaux (septembre-octobre). Les cartes piézométriques des principaux aquifères   ont ainsi été établies ces dernières années par le BRGM avec le soutien financier des Agences de l’eau, du Conseil Régional et de la DREAL. Ces cartes servent de référence.

Carte piézométrique du Cénomanien (étiage 2008) en sud Charentes

La carte piézométrique   basses eaux (2008) de la nappe   du Cénomanien en Sud-Charentes présentée ci-dessus donne les écoulements souterrains et permet d’identifier les zones d’alimentation et les principales sorties d’eau de la nappe  . Ce type de carte permet en particulier d’expliquer l’existence de zones humides ou à contrario certains assèchements cycliques de rivière. En ce qui concerne la nappe   du Cénomanien, on identifie d’importantes sorties d’eau de la nappe   vers la Seudre, aux environs de St-André-de-Lidon, vers la Seugne, au Sud de Pons, vers la Charente du coté d’Angoulême et vers les marais littoraux.

Les pompages d’essai : un moyen de connaître les caractéristiques du forage et de la nappe  

Photo d’un pompage d’essai : rejet des eaux

Les pompages d’essai dans un forage permettent de connaître les paramètres caractérisant d’une part le forage, d’autre part l’aquifère  . On distingue en effet :

• Le pompage par paliers (ou essai de puits), comportant en règle générale au moins 4 paliers à débits croissants, qui conduit à la courbe caractéristique et au calcul des pertes de charges et du débit critique de l’ouvrage. Le graphe s/Q=f(Q), où s est le rabattement* du niveau d’eau dans l’ouvrage et Q le débit prélevé, donne en effet les pertes de charge laminaires (B) et turbulents © dans le forage (soit dans le cas de ce graphe : s=066Q + 0.018Q2).
Un forage où les pertes de charge quadratiques (écoulement turbulent) sont majoritaires présente, dans la plupart des cas, des défauts de réalisation.
Le débit critique correspond au débit au-delà duquel le rabattement s’accroît de manière exponentielle. C’est le débit maximal d’exploitation de l’ouvrage.

Pompage d’essai par paliers : graphe rabattement/débit

• Le pompage longue durée (ou essai de nappe  ), est fait à débit constant, en général au débit d’exploitation envisagé pour l’ouvrage, sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines ou mois, de manière à tester la réaction de la nappe  . Il permet de voir l’impact du pompage sur les forages alentours, les éventuels effets de limite (alimentation de la nappe   par une rivière ou inversement limite imperméable de l’aquifère  ), et de calculer les paramètres hydrodynamiques de l’aquifère   aux environs du forage. La transmissivité* T (découle de la perméabilité  ) est calculée à partir de l’analyse de l’évolution des niveaux, en général au cours de la remontée (après arrêt du pompage). Le calcul de l’emmagasinement  * S nécessite de disposer d’un suivi des niveaux sur au moins un piézomètre  * à proximité du forage pompé.

Pompage longue durée : suivi des niveaux piézométriques

Au cours d’un pompage longue durée, on peut suivre l’évolution d’autres paramètres : température de l’eau, conductivité. Le graphe ci-dessous rend compte d’un pompage d’essai réalisé sur un forage à Marans (Marais Poitevin, 17) dans un contexte de zone humide* littorale. On y voit que l’évolution de la conductivité (correspondant ici à la salinité de la nappe  ) est impactée d’une part par les marées et d’autre part par le débit du pompage.

Pompage longue durée : suivi de la température et de la conductivité

Modéliser pour comprendre et prévoir

En hydrogéologie  , les décisions quant à la gestion de la ressource doivent être prises en comprenant, voire en anticipant, le comportement de la nappe  . En Poitou-Charentes, en particulier, l’exploitabilité d’une nappe   est généralement indissociable des objectifs de débit en rivière. Les modèles mathématiques permettent de mieux comprendre la complexité des aquifères   et de réaliser des prédictions en fonction d’un ou de plusieurs paramètres. Par exemple, en fonction des précipitations, on pourra prédire le niveau d’une nappe   en un point et le débit d’un cours d’eau. Il existe plusieurs types d’outils, mais qui sont tous basés sur les mêmes approches méthodologiques, avec une phase de mise au point en rentrant les données, une phase de calage sur les observations de terrain que les modèles tentent de reproduire (chronique et carte piézométrique  …), une phase d’utilisation à travers des simulations. 2 d’entre-eux ont plus précisément été utilisés en Poitou-Charentes à un niveau régional.

L’analyse des corrélations entre chroniques : TEMPO

La DREAL* a confié en 2005 au BRGM la réalisation d’une étude visant à mieux cerner les disponibilités en eaux souterraines   en fonction d’objectifs de débits dans les cours d’eau en période d’étiage  . Le logiciel TEMPO® a été utilisé et a permis d’établir des « fonctions de transfert » entre :

• la pluie efficace* (fraction de la pluie qui ruisselle vers le cours d’eau et s’infiltre vers la nappe  )

• L’évolution du niveau de la nappe  

• Les fluctuations de débit de la rivière.

Le cycle de l’eau : corrélation entre pluie, débit et niveau de nappe

Dans le cadre de cette étude dite « TEMPO », les différentes chroniques de pluie, de niveau de nappe  , de débit, disponibles au pas journalier depuis 1992, ont été utilisées. Entre une chronique de pluie et une chronique de niveaux, ou entre une chronique de niveaux et une chronique de débit, des fonctions de passage de l’une à l’autre ont été établies. Ces fonctions peuvent s’ajouter créant des arborescences permettant de passer de la pluie au débit via plusieurs nappes   par exemple.

Le calage du modèle sur la chronique réelle permet de mettre en évidence les paramètres influençant les évolutions de niveaux ou de débits (pompage en nappe  , débordement de nappe   et contraste vertical de perméabilité  , lâcher de barrage pour les rivières ….).

La comparaison de la courbe reconstituée par TEMPO avec la courbe des mesures réelles met en évidence certains phénomènes

Une fois les modèles ajustés le logiciel TEMPO® permet de :

  • Reconstituer les évolutions ‘’naturelles’’ du débit des rivières et du niveau des nappes   en fonction d’hypothèses climatiques ;
Principe de l’utilisation de TEMPO en prévision une fois le modèle calé
  • Estimer des volumes disponibles sur l’ensemble du bassin   versant en fonction des objectifs de débits de cours d’eau en année quinquennale sèche (4 années sur 5) ;
TEMPO a permi de prposer des courbes débits d’objectif en rivière/volumes prélevables

Les modèles « maillés »

Les modèles du type TEMPO sont faciles et rapides à mettre en œuvre mais reste de type « boite noire ». Les simulations d’écoulements souterrains, basées sur la reconstitution du milieu physique, donnent des résultats plus intéressants mais présentent l’inconvénient d’une mise en œuvre beaucoup plus lourde, de par la quantité de données nécessaires à leur construction. Dans les premiers temps de l’hydrogéologie  *, les hydrogéologues ont travaillé avec des maquettes hydrauliques ou électriques reconstituant à une échelle réduite les phénomènes à étudier. Ces outils sont aujourd’hui remplacés par des logiciels de simulation. Les caractéristiques des aquifères   (épaisseur, profondeur, perméabilité  *, emmagasinement  *) et des relations de ces derniers avec les cours d’eau sont informatisées et traitées au sein d’un système de maillage.

Grace à la collaboration du Conseil Régional, de la DREAL*, des 2 agences de l’eau* et du BRGM, la région Poitou-Charentes dispose de 2 modèles régionaux, couplant nappes   et rivières, couvrant une grande partie de la superficie du territoire. Le modèle des nappes   du Jurassique déborde même largement en Vendée.
Ces 2 modèles utilisent le logiciel MARTHE développé par le BRGM.

La première étape de la modélisation correspond à construction de la géométrie du modèle en analysant et interprétant les coupes géologiques des forages (par exemple plus de 1000 pour le modèle des nappes   du Jurassique). Dans chaque maille de chaque couche, les profondeurs du toit et de la base de la couche sont rentrées. La surface « topographique » du modèle a été calculée à partir du modèle numérique de terrain de l’IGN.

Bloc-diagramme du modèle des nappes du Jurassique de Poitou-Charentes

La seconde étape de la modélisation correspond à la phase de calage qui compare les résultats fournis par le modèle aux données de terrain. Le calage du modèle des nappes   du Jurassique a été fait sur une centaine de chroniques piézométriques (ci-dessous graphe d’un piézomètre   à Luçon, nord du Marais Poitevin, 85). En préalable, cela suppose dans chaque maille la saisie des prélèvements, des paramètres hydrodynamiques (perméabilité  *, emmagasinement  *), et, pour les mailles de surface, la pluie efficace et les paramètres des rivières si il y a lieu.

Calage du modèle : comparaison des chroniques calculées et mesurées sur le piézomètre de Luçon (85)
Le modèle des nappes   du Jurassique

Ce modèle reconstitue l’espace souterrain depuis le socle profond jusqu’à la surface et comporte 8 couches. Il s’étend depuis Châtellerault au Nord jusqu’à Angoulême et La Rochelle au Sud, selon une maille géographique de 1 km de coté. Sa construction s’est appuyée sur plus de 1000 forages. C’est un des premiers modèles régionaux qui couple les nappes   et les principales rivières avec plus de 3000 km de linéaire introduits. La recharge   a été calculée à partir des données de 11 stations météo. Il a été calé à un pas de temps mensuel, sur la période 2000-2007, sur les chroniques piézométriques.

Le modèle permet aussi de faire des zoom locaux en travaillant avec des mailles plus petites et à pas de temps plus fins (par exemple pour le Marais Poitevin, mailles de 333 m de coté et pas de temps hebdomadaire).

Bloc-diagramme du modèle des nappes du Jurassique de Poitou-Charentes
Le modèle des nappes   du Crétacé des Charentes

Prenant le relai au Sud du modèle des nappes   du Jurassique, ce modèle reconstitue l’empilement sédimentaire depuis le Jurassique supérieur jusqu’à la surface, intégrant 8 couches dans un maillage horizontal de 1 km de coté. Il concerne toute la partie sud des départements des charentes, depuis Angoulême jusqu’à Rochefort. Les principaux cours d’eau de ce territoire sont rentrés dans ce modèle. La construction de la géométrie du modèle est basée sur l’analyse de plus de 400 forages et sur des profils sismiques des pétroliers. Le modèle hydrodynamique a été calé au pas de temps mensuel sur 2000-2008.

Calage du modèle : comparaison des chroniques calculées et mesurées sur le piézomètre de Luçon (85)

A quoi servent les modèles maillés ? Quelques exemples

o Le zoom du modèle du Jurassique sur le marais a permis de calculer les volumes disponibles pour l’irrigation afin de respecter les objectifs fixés sur des piézomètres de référence dans le SDAGE* Loire-Bretagne (7C4). Ces chiffres ont servi à guider les politiques d’économie d’eau, et notamment à calibrer les solutions de substitution.

Piézométrie de la nappe du Dogger reconstituée par le modèle autour du Marais poitevin (étiage 2003)

Les prélèvements* agricoles (points noirs sur la carte ci-dessus = forages) autour du Marais Poitevin sont responsables de la création en été de vastes dépressions dans les nappes   du Jurassique. La carte présente l’état piézométrique   restitué par le modèle pour la nappe   du Dogger et pour le mois de septembre 2003 (année sèche). On y voit 2 dépressions piézométriques avec des niveaux moyens de nappe   qui sont plus bas que le niveau de la mer : entre Fontenay et Luçon d’une part, entre Longeville et la côte d’autre part. Les objectifs piézométriques inscrits dans le SDAGE* visent à limiter cet impact en accord avec la préservation des milieux humides.

o Le modèle des nappes   du Jurassique donne l’impact des prélèvements, en particulier agricoles, sur les débits moyens mensuels des rivières pour la période 2000-2007. Toutes les rivières couvertes par l’extension géographique du modèle sont concernées. Ainsi, l’impact de l’irrigation en nappe   peut être chiffré à environ ¼ du débit d’étiage   du Clain à Poitiers (soit une « perte » de 500 l/s) et de l’ordre de la moitié (1 m3/s) du débit de la Boutonne à l’aval. Pour le Clain, si l’on ajoute l’impact des prélèvements directs en rivière, la baisse due aux prélèvements agricoles est de l’ordre de la moitié du débit d’étiage   (août, septembre).

Impact des prélèvements agricoles sur les débits, bassin du Clain

L’impact des prélèvements peut être rapide (prélèvements en rivière ou dans un forage proche de la rivière) ou différé du fait de l’inertie de l’hydro-système* (transferts lents par la nappe  ). Le modèle permet de mesurer cette inertie du système, ce qui permet d’orienter la gestion des bassins versants : développement de l’irrigation de printemps ou l’inverse, modification des pratiques agricoles, mise en place de programmes de retenues adaptés…

Impact des prélèvements agricoles sur le débit aval de la Courance (79)

o Le modèle des nappes   du Jurassique a été utilisé pour tester l’impact des projets de retenues de substitution remplies avec des forages durant l’hiver : sur les bassins de la Boutonne, Mignon-Courance, Sèvre-Niortaise, Autize, Curé, Lay, Vendée. Le modèle permet d’évaluer l’impact global sur le débit du cours d’eau et sur le niveau de la nappe  , négatif l’hiver en période de remplissage, positif l’été du fait des substitutions de prélèvements. C’est en effet le seul moyen d’évaluer cet impact dans le cadre de projets qui envisagent la mise en place de plusieurs retenues avec le stockage de plusieurs millions de mètres cube.

Impact des projets de retenues de substitution testés sur le débit aval de la Boutonne

Sur le bassin   de la Boutonne, le projet testé correspondait à un stockage hivernal de l’ordre de 6.5 Mm3 d’eau dans 27 retenues réparties sur la Boutonne moyenne (en 17). Le gain réalisé par substitution des prélèvements estivaux serait de l’ordre de 300 l/s sur le débit aval de la Boutonne, ce qui est significatif par rapport au 1 m3/s observé en moyenne actuellement en année sèche.

Impact des prélèvements hivernaux sur le débit de la Boutonne

D’amont à l’aval, du fait de la localisation des retenues et des forages, l’impact sur le débit est variable. En janvier 2005, hiver particulièrement sec, l’impact du remplissage des retenues à l’aval est chiffré par le modèle à 500 l/s sur un débit moyen de l’ordre de 13 000 l/s.

o Le modèle a aussi été utilisé pour voir l’impact du changement climatique sur les niveaux de nappe   et débit des rivières, l’impact de la remontée du niveau marin suite au réchauffement, ainsi que pour quantifier les apports d’azote au littoral ou pour cartographier les zones humides.

Résultats du modèle du Jurassique : cartographie des sorties d’eau (zones humides) en mars 2003
Les impacts du changement climatique

Le modèle des nappes   du Jurassique a été utilisé pour tester divers scénarios de changement climatique donnés par différents modèles nationaux (travaux du GIEC). Malgré des résultats parfois assez différents, ces scénarios convergent pour décrire une situation d’étiage   encore plus critique qu’actuellement, à l’horizon 2046-2065, en nappe   comme en rivière. Mais la situation devrait être assez différente selon les bassins versants. Sur les bassins à forte inertie, en nord Vienne et Deux-Sèvres (Dive, Pallu…), les débits des rivières devraient se trouver fortement impactés en hiver comme en été. Sur la partie médiane de la région (bassins du Clain, de la Sèvre-Niortaise, de la Charente amont), on peut s’attendre à des débits d’étiage   plus sévères mais peut-être aussi à des débits de crues plus importants. Au niveau du Nord du Marais Poitevin, ce qui est à craindre surtout ce sont des niveaux de nappe   plus bas en hiver et surtout au printemps, ce qui réduirait les apports à la zone humide*. Enfin, sur les bassins à faible inertie (Curé, Mignon, Boutonne moyenne, Antenne, Aume-Couture…) la situation serait assez peu différente de l’actuel , mises à part certaines années qui verraient des étiages très sévères et des crues importantes.

Débit du Clain au cours des années 2046-2065 selon les différents scénarios testés (en rouge courbe de référence actuelle)

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