Les grandes problématiques qualitatives de Poitou-Charentes

En Poitou-Charentes, les eaux souterraines   sont plus consommées que les eaux de surface malgré une ressource qui doit être traitée avant d’être distribuée pour des raisons de qualité naturelle et surtout de dégradation anthropique.

Sommaire de l’article :

La santé au fil de l’eau

La qualité d’une eau se définit le plus souvent par rapport à l’usage qu’on en fait. Les exigences de qualité sont différentes si l’eau est destinée à la consommation humaine ou à un usage industriel ou agricole. On peut également évaluer la qualité de l’eau par rapport à son état d’origine (état patrimonial). Il n’existe donc pas une qualité mais des qualités de l’eau, selon l’usage et les exigences qui lui correspondent. Cependant en règle générale, la qualité de référence d’une nappe   est calculée en fonction de son aptitude à produire de l’eau potable* et sa qualité est directement liée à la santé humaine. On raisonne donc à partir des valeurs des seuils de concentrations définissant la potabilité d’une eau.

Dans les société occidentale, le traitement des eaux d’alimentation et la protection des captages ont permis, en même temps que la collecte et le traitement des eaux usées, l’éradication progressive des grandes épidémies. Rappelons la phrase de Pasteur qui n’est pas si ancienne : « Nous buvons 90% de nos maladies ». Mais rien n’est définitivement acquis et les cas récurrents d’épidémie de gastro-entérites rappellent la nécessité de maintenir des contrôles sanitaires des eaux* stricts.

Contrôle de la qualité d’une eau pour la consommation humaine, La Fontaine Talbat à Chauvigny (86)

Des défauts naturels

Même si elle n’est pas polluée par l’homme, une eau souterraine ne présente pas forcément un niveau de qualité qui la rend propre à la consommation. Chaque eau est unique et sa nature dépend de la composition chimique des roches qu’elle traverse. L’eau chimiquement pure n’existe pas. Même la pluie contient déjà quelques milligrammes par litre de sels marins et de diverses substances issues des pollutions atmosphériques. Mais c’est surtout dans sa phase d’infiltration   dans la zone non saturée   que l’eau se charge en sels dissous, puis en substances minérales au fil de son parcours souterrain. Plus le temps de séjour de l’eau dans la roche (« âge de l’eau ») est important, plus la minéralisation d’une eau est élevée. Calcium, magnésium, sodium, potassium donnent à l’eau ses qualités gustatives.

En Poitou-Charentes, certains paramètres « naturels » peuvent être en quantité excessive dans les eaux souterraines  . De plus ces paramètres sont souvent difficiles et couteux à traiter. Le fluor est présent dans les nappes   captives profondes, surtout dans l’Infra-Toarcien, du fait de la nature de la roche encaissante et des temps de séjours longs de l’eau. Le sélénium, qui fait la spécificité de la Roche-Posay et qui provient du lessivage des formations continentales du Tertiaire, peut être en excès. En dehors du fer et du manganèse, souvent liés aux modalités d’exploitation du captage  , on peut trouver en teneurs excessives de l’arsenic lié au socle granitique ou à des niveaux sédimentaires riches en matières organiques (lignites…). Enfin, la dureté de l’eau associée aux réservoirs calcaires, la turbidité  * qui vient des particules argileuses présents dans les karsts, les intrusions d’eau salée sur le littoral (biseau salé  *), la minéralisation élevée des eaux confinées des aquifères   profonds (plus de 1000 m de profondeur), la radioactivité sont aussi des paramètres handicapant pour la qualité des eaux souterraines  . A l’inverse, une trop faible minéralisation, comme cela peut-être le cas dans les zones de socle ou dans les aquifères   sableux du Tertiaire, peut être limitant pour la consommation humaine.

Normes de qualité des éléments minéraux susceptibles d’être naturellement présents dans les eaux souterraines en Poitou-Charentes

Des pollutions diffuses

Les pollutions diffuses* répétées et durables sont dues à une émission entretenue de substances polluantes résultant des activités humaines. Elles parviennent aux nappes   par de vastes surfaces d’affleurement  * lorsque l’infiltration  * de l’eau de pluie entraîne en profondeur des produits répandus sur le sol. On retrouve ici les défauts d’assainissement, les pluies acides, les aérosols, les fumées de l’industrie et les résultats des pratiques agricoles. Ces dernières sont les principales responsables de la pollution de l’eau par l’usage d’engrais chimiques et de pesticides. En France, la norme de potabilité des nitrates  * est fixée à 50 mg/l, mais une eau contenant plus de 100 mg/l de nitrates   ne peut pas être traitées. L’origine de ces nitrates   est en Poitou-Charentes principalement due à l’agriculture, bien que la production naturelle (zones humides…) ou d’autres pollutions anthropiques (stations d’épuration…) ne doivent pas être négligées. La pollution par les pesticides provient de l’agriculture, mais aussi de l’entretien des parcs et jardins (collectivités, particuliers), des routes et voies ferrées. En France plus de 500 molécules phytosanitaires* sont autorisées (et entrent dans la composition de plus de 8000 produits) et l’on peut les retrouver dans l’environnement, y compris avec des molécules de leur dégradation.

Alors que la présence de nitrates  * dans l’eau est susceptible de faire courir un risque en particulier aux nourrissons (maladie bleue), l’exposition chronique aux pesticides, même à faible dose, est soupçonnée comme facteur de cancers.

Les différentes origines de l’azote dans les sols et nappes

Une situation préoccupante

En ce qui concerne les eaux souterraines   et selon le bilan 2010 du réseau qualité, il apparait que l’ensemble des nappes   libres*, sauf quelques exceptions, sont contaminées par les nitrates  *. Les secteurs géographiques assez bien « préservés » sont situés, en dehors des faciès   salés littoraux (impact des eaux marines) et des nappes   captives* naturellement protégées, surtout dans la partie méridionale des Charentes, peu agricole. D’une manière générale, après avoir légèrement diminuée entre 2001 et 2005, les teneurs en nitrates   ont légèrement augmenté ensuite pour se stabiliser depuis 2007. Ceci s’explique surtout par l’absence de recharge   en 2004/2005 (années particulièrement sèche) suivie par la reprise des lessivages* au printemps 2006. La nappe   du Jurassique supérieur reste la plus contaminée (50 mg/l en moyenne), suivi de la nappe   du jurassique moyen (40 mg/l environ) et du Crétacé supérieur (31 mg/l).

Evolution de la qualité des eaux souterraines entre 2001 et 2010

Cette carte réalisée par le BRGM montre que l’on observe globalement depuis 2001, année de mise en place du réseau de suivi de la qualité des nappes  , une relative stabilité, mais à des concentrations très élevées, voisines de la norme de potabilité (50 mg/l), surtout pour les nappes   du Jurassique moyen et supérieur. Les concentrations varient dans l’année dans la plupart des cas, avec des pics (et des dépassements de la norme de potabilité) en hautes eaux (avril/mai) et des concentrations plus faibles à l’automne.

Pour les pesticides, la contamination des eaux souterraines   est principalement liée à la présence du groupe d’herbicides des triazines et plus ponctuellement à certaines urées substituées. Les teneurs en atrazine, simazine, terbuthylazine montrent une baisse significative depuis 2003 (année de retrait du marché) alors que celles des métabolites (atrazine déséthyl, atrazine déisopropyl, hydroxy-atrazine) restent relativement stables à l’échelle régionale. D’autres substances, toujours autorisées en 2009, sont détectées de manière plus épisodique, en particulier le métolachlore, l’isoproturon, le chlortoluron. Quant au glyphosate et à son produit de dégradation directe l’AMPA, ils ne sont pas ou peu retrouvés dans les eaux souterraines   alors qu’ils figurent parmi les substances les plus fréquentes dans les eaux de surface.

Taux de quantification des 10 principales substances phytosanitaires sur les points du réseau régional

Le graphe ci-dessus, relatif aux taux de quantification des 10 principales substances phytosanitaires* quantifiées dans les eaux souterraines   de Poitou-Charentes en 2010 sur les 107 points du réseau qualité, montre la diminution de l’atrazine et de la simazine, interdites depuis 2003, mais l’augmentation de l’atrazine déséthyl, produit de leur dégradation.

En ce qui concerne les eaux distribuées pour la consommation humaine, donc après traitement, aucune unité de distribution n’a été desservie en 2010 par une eau contenant plus de 50 mg/l de nitrates  , si ce n’est des dépassements occasionnels. Les dépassements des normes en matière de pesticides restent aussi exceptionnels et liés à des dysfonctionnements des dispositifs de traitement.

Les isotopes : pour aller plus loin sur la connaissance de l’origine de l’eau

Structure d’un atome

On utilise les analyses des isotopes pour connaître l’origine d’une eau souterraine ou préciser son âge. Un élément chimique se définit par sa charge nucléaire, c’est-à-dire son nombre de protons (exemple 1H, 6C, 16S,…). Les noyaux atomiques renferment des neutrons, en nombre variable, mais généralement proche du nombre de protons. La somme des neutrons et des protons constitue la masse atomique. Les isotopes d’un élément se définissent par un même nombre de protons, mais par un nombre différent de neutrons, donc par une masse atomique distincte. Ainsi les éléments chimiques comprennent des atomes de masses différentes appelés isotopes. Les eaux naturelles composées essentiellement d’hydrogène et d’oxygène « banaux » 1H et 16O contiennent toujours une infime proportion des autres espèces isotopiques de ces éléments, en particulier le deutérium, 2H, le tritium 3H et l’oxygène 18, 18O. La distribution de chacune des espèces dans les différentes parties de l’hydrosphère   obéit à des mécanismes bien précis dont la connaissance, grâce à la précision des techniques de mesures par spectrométrie de masse, a permis leur emploi comme traceurs des systèmes hydrologiques. L’utilisation des isotopes constitutifs de la molécule d’eau permet un traçage intime, correspondant réellement à l’objet que l’on veut tracer, dans notre cas, l’eau. Ces traceurs isotopiques sont de plus en plus nombreux. Parmi les plus utilisés actuellement en environnement des eaux souterraines   :

• Les rapports isotopiques δ15N et δ18O des nitrates   permettent de distinguer dans une concentration en nitrates   la part des intrants agricoles, de l’assainissement et du cycle biogéochimique de l’azote ;

• Le rapport isotopique δ11B contribue aussi à distinguer fertilisants et assainissement ;

• Le rapport isotopique 87Sr/86Sr est un traceur des formations géologiques dans lesquelles l’eau a circulé et des fertilisants.

Composition isotopique des différentes sources de nitrates d’après Aravena et al., 1994, Widory et al., 2004, Xue et al., 2009.

Des pollutions ponctuelles

Les nappes   sont également victimes de pollutions* accidentelles : un camion de fioul qui se renverse, une station d’épuration qui dysfonctionne, le déversement de produits toxiques dans une rivière. Les pollutions par les hydrocarbures sont les plus fréquentes. Elles rendent l’eau imbuvable pendant des dizaines d’années car quelques gouttes suffisent pour polluer un m3 d’eau. Les périmètres de protection*, prévus par l’article L 1321-2 du code de la santé publique, permettent de limiter le risque de ces pollutions ponctuelles. A ces pollutions accidentelles viennent s’ajouter les rejets ou dépôts d’activités industrielles anciennes ou les impacts d’exploitations extractives (mines, carrières) aujourd’hui abandonnées.

De « nouveaux » polluants

La liste des polluants à surveiller ne cesse de s’agrandir. Il devient nécessaire de mettre au point de nouveaux outils de détection et de mesure pour analyser la présence dans les eaux souterraines   de polluants émergents tels que les nanoparticules, dont les effets sur la santé peu connus, ou les produits pharmaceutiques ou vétérinaires. Ces derniers, lorsqu’ils sont consommés, sont éliminés par voies fécales ou urinaires, parfois sous une forme active. Leur présence dans l’eau souterraine sous forme de résidus a été mise en évidence dans diverses études. D’autres polluants, plus classiques, sont surveillés de longue date : dioxines, phtalates, métaux lourds, etc… Une attention particulière doit être portée aux produits susceptibles d’affecter le système endocrinien.

Source de Forges à Mouthiers-sur-Boême (16)
L’âge des eaux de cette source a été estimé à 69 ans à partir de l’analyse des CFC et SF6

L’âge des eaux souterraines  

Les méthodes de datation constituent de bons moyens pour appréhender l’origine et la vulnérabilité d’une eau souterraine. Dater les eaux souterraines   signifie déterminer le temps écoulé à partir du moment où l’eau devient souterraine, en d’autres termes, depuis son infiltration   dans le sol à partir des précipitations ou depuis tout autre type d’eau de surface (rivières, lacs). A un point donné (forage, source  ), l’eau collectée correspond à une multitude de gouttes d’eau accumulées ayant un âge plus ou moins grand. C’est pour cela que l’âge estimé par les traceurs chimiques est considéré comme un âge « apparent ».

L’utilisation d’une méthode ou d’une autre dépend de l’âge attendu des eaux et de la disponibilité d’une chronique du signal d’entrée. Le tritium et le carbone 14 sont les 2 deux méthodes les plus classiquement utilisées pour dater les eaux souterraines  , mais ces méthodes ne sont pas adaptées pour les eaux « jeunes » (quelques années). La datation par le 14C utilise la fragmentation de cet élément en 13C isotope stable du carbone. Cette méthode permet de remonter jusqu’à environ -45 000 ans. Le principe de datation par le tritium (3H) repose sur l’enrichissement de l’atmosphère en cet élément du fait des essais nucléaire des années 1952-1963 (ci-dessus l’explosion nucléaire de la Tsar Bomba, 1961, USSR). Depuis cette dernière date, les teneurs en tritium diminuent jusqu’à atteindre actuellement des valeurs naturelles. Cette méthode convient donc pour des eaux de moins de 60 ans.

Explosion nucléaire de la Tsar bomba (1961, USSR)

Un outil développé récemment pour la datation des eaux jeunes se base sur la mesure de certains gaz dissous conservatifs à l’état de trace, ayant fait l’objet d’une utilisation anthropique récemment abandonnée du fait de leur contribution à l’effet de serre. Les composés halogénés CFC ont été utilisés principalement comme gaz réfrigérants, propulseurs, solvants et agents d’expansion dans les mousses de matières plastiques. L’hexafluorure de soufre (SF6) est utilisé principalement pour ces capacités isolantes par l’industrie d’énergie électrique, dans les accélérateurs et la production du double vitrage. La datation des eaux se base sur la comparaison des concentrations en gaz dissous dans les eaux souterraines   avec les chroniques de concentration des gaz dans l’atmosphère, parfaitement connues car mesurées en routine à plusieurs stations localisées dans les hémisphères nord et sud.

Des datations ont été réalisées sur les eaux souterraines   de diverses nappes   en Poitou-Charentes. Les eaux profondes de l’Infra-Toarcien des bassins de Paris et d’Aquitaine présentent par le 14C des âges allant de -20 000 à -30 000 ans. A l’autre extrême, les datations récentes par les méthodes CFC et SF6 donnent quelques années aux eaux de sources karstiques   du bassin   de la Charente : moins d’un an pour les eaux des sources de la Touvre (karst   de la Rochefoucauld) et de Sompt (Dogger du bassin   de la Boutonne), 4 ans pour la source   de St-Fraigne (Jurassique supérieur), 6 ans pour celle de Mouthiers-sur-Boême (Turonien).

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