Des eaux souterraines d’une grande variété
Située en climat à influence océanique, la région Poitou-Charentes voit tomber chaque année en moyenne un peu moins de 1 m d’eau. Le milieu souterrain constitue une étape dans le cycle de transit de cette eau vers l’océan. La nature du sous-sol conditionne l’importance et la durée de ces transits souterrains. Il en découle une typologie des systèmes aquifères qui sont, de part et d’autre du seuil du Poitou, en continuité avec le réseau hydrographique superficiel.
La cartographie de ce dernier reflète d’ailleurs bien ces relations nappes -rivières* : sur le socle granitique ou schisteux le ruissellement est prépondérant et le réseau est très dense, il en est de même sur les formations sablo-argileuses du Crétacé supérieur/Tertiaire en Nord-Vienne et du Tertiaire en Sud-Charentes ; en revanche, les infiltrations et transferts souterrains sont majoritaires dans les calcaires du Jurassique et du Crétacé supérieur qui forment une grande partie de la région. Le réseau est toutefois un peu plus dense sur les calcaires du Jurassique supérieur et du Crétacé que sur ceux karstiques du Dogger.
On distingue en Poitou-Charentes 4 grands types d’aquifères * et, par conséquent, de réseaux hydrographiques : aquifères de socle, aquifères des calcaires karstiques , aquifères des calcaires fissurés, aquifères des formations sableuses.
- Le réseau hydrographique reflète la nature du sous-sol
Sur le socle granitique ou schisteux le ruissellement est prépondérant et le réseau est très dense ; il en est de même sur les formations sablo-argileuses du Crétacé supérieur et du Tertiaire en nord Vienne et du Tertiaire en sud Charentes. En revanche les infiltrations et transferts souterrains sont majoritaires dans les calcaires du Jurassique et du Crétacé supérieur qui forment une grande partie de la région.
Les aquifères de socle
- Extension des aquifères de socle
Sur le socle Armoricain et du Massif Central, le réseau hydrographique est dense et très bien distribué, traduisant un bon drainage des eaux de pluie. Dans le sous-sol, la frange d’altération et de fracturation contient des nappes en général peu productives et peu profondes (inférieures à 50 m). Ces nappes circulent vers les rivières selon la topographie ; le bassin versant topographique correspond au bassin versant souterrain. Les cours d’eau réagissent rapidement à la pluviosité et les graphes hydrologiques montrent des crues et des décrues rapides avec peu de décalage par rapport aux épisodes pluvieux. On rencontre ces nappes dans le Massif Armoricain des Deux-Sèvres et sur la bordure du Massif Central en Charente et en Vienne. Les bassins versants concernés par ce type de substratum sont ceux de la Sèvre Nantaise et du Thouet (pro-parte), des parties amont de l’Autize, de la Vienne, de la Gartempe, de la Creuse, de la Charente et de certains affluents du Clain.
- Structure des aquifères de socle
- Socle ancien (quartzite) armoricain plissé (79)
L’altération des roches granitiques
Les massifs de roches métamorphiques (roches transformées sous l’effet de la température et de la pression) ou plutoniques (roches cristallisées à partir d’un magma) présentent en surface un profil d’altération caractéristique. Sous les altérites meubles superficielles (sables ± argileux), on trouve un horizon fissuré avec une densité de fissures qui décroît vers le bas. Les fissures sont le résultat des contraintes induites dans la roche par le gonflement de certains minéraux au stade précoce de l’altération, en particulier de la biotite (mica) qui se transforme en minéraux gonflants. Si la roche pouvait gonfler librement on aurait un gonflement d’environ 30%, mais du fait de la pression engendrée par la profondeur, la dilatation est impossible ce qui va développer des fentes de rupture dans la roche. Dans le cas d’une roche massive et homogène comme un granite, les fentes de tension seront horizontales.
L’horizon fissuré des roches cristallines et métamorphiques constitue un aquifère dont la porosité * efficace est voisine de 5% au sommet et décroît vers le bas ; il en est de même de la perméabilité *. La hauteur d’eau stockée dans un profil d’altération sur socle (en incluant la partie inférieure des altérites meubles) est généralement comprise entre 1,5 et 2,5 m, soit 1,5 à 2,5 millions de m3 d’eau par kilomètre carré.
- Profil d’altération sur un granite
Les aquifères des calcaires karstiques
- Extension des aquifères karstiques
Au-dessus du socle, dans les 2 bassins sédimentaires, on trouve 2 grands systèmes aquifères karstiques * : l’Infra-Toarcien (Jurassique inférieur), à la base de l’empilement sédimentaire, et le Dogger (Jurassique moyen). Au nord-est d’Angoulême, le karst * de la Rochefoucauld, au sein des calcaires du Jurassique moyen et supérieur, constitue l’un des plus importants systèmes karstiques de France. Dans le Cénomanien et le Turonien-Coniacien des Charentes (Crétacé supérieur) on trouve également ce type d’aquifère .
- Modèle d’aquifère karstique
De part et d’autre du seuil du poitou, les calcaires du Dogger constituent l’essentiel des plateaux aux formes karstiques (vallées sèches, gouffres). Les vallées comme celle du Clain sont encaissées et les rivières coulent souvent sur les marnes du Lias (Toarcien). Sur les plateaux, les altérites sableuses et argileuses « beurrent » les karsts et la nappe est parfois à plusieurs dizaines de mètres de profondeur. Dans les vallées, la nappe du Dogger alimente des sources.
- Schéma de la nappe du Dogger de part et d’autre de la vallée du Clain
Dans ces zones karstiques , le réseau hydrographique est très peu dense, les circulations d’eau se font en souterrain avec des exutoires parfois très importants comme les Viviers à Niort et la Touvre près d’Angoulême (seconde résurgence * de France par son débit). Les rivières peuvent se perdre complètement dans le karst * comme c’est le cas pour la Dive du Sud et la Bouleure à Lezay (en Deux-Sèvres), la Tardoire et le Bandiat (Est de la Charente), la Seudre près de Gémozac. Les bassins versants topographiques ne correspondent pas forcément aux bassins versants souterrains. Des transferts d’eau sont fréquents d’un bassin topographique à un autre. Ainsi le bassin hydrogéologique* du Clain est moins étendu que son bassin topographique au profit de la Vienne et de la Sèvre-Niortaise.
- Cartographie des principaux transferts karstiques entre bassins versants
La Touvre, l’un des karsts les plus importants de France
- Photo de la Touvre
Le caractère exceptionnel des sources de la Touvre à l’Est d’Angoulême est assez mal connu dans la région. Secondes résurgences* de France par leur débit, elles font pourtant partie d’un complexe hydrogéologique important au fonctionnement particulier : le karst de la Touvre. Les sources constituent en effet l’exutoire d’un immense réseau souterrain de conduits et de grottes dans lequel circulent de grandes quantités d’eau.
En amont, l’aquifère karstique de la Touvre est alimenté par les pluies qui tombent directement sur les calcaires des forêts de la Braconne et du Bois Blanc (470 km2 environ pour la superficie de cet impluvium) et par les pertes des rivières, en été, qu’elles soient totales (Bandiat, Tardoire) ou partielles (Bonnieure). Le bassin d’alimentation total est estimé à 1200 km2 (impluvium + bassins versants du Bandiat, de la Tardoire et de la Bonnieure).
- Coupe géologique illustrant l’alimentation des sources de la Touvre
Il transiterait environ 350 M de m3/an d’eau aux sources avec une contribution des pertes de rivière à hauteur de 70 %. Des mesures par traçages ont montré que les écoulements souterrains se faisaient souvent à des vitesses supérieures à 100 m/h. Toutefois, il existe aussi des transits lents. On estime également que 15 000 t/an de calcaire sont dissoutes. Les effondrements importants observés dans le massif karstique , et en particulier dans la forêt de la Braconne (la Grande Fosse…), viennent conforter l’hypothèse de l’existence en profondeur de cavités de grande taille.
Les sources de la Touvre sont constituées de 3 exutoires (le Bouillant, le Dormant et le Font de Lussac) auxquels il convient d’ajouter la source de la Lèche, située à environ 500 m des premières. L’eau sort au travers de formations plutôt imperméables : les marnes du Kimméridgien supérieur. Les nombreuses explorations spéléologiques des sources ont cependant permis de situer le toit des premières formations perméables (calcaires récifaux du Kimméridgien inférieur) aux alentours d’une vingtaine de mètres. L’eau a exploité l’intense fracturation, qui accompagne la faille de l’Échelle toute proche, en formant d’importants conduits, facilitant ainsi la traversée des terrains marneux.
- Schéma du réseau karstique au niveau des sources
Pour en savoir plus :
Les aquifères des calcaires fissurés
- Extension des principaux aquifères fissurés
Le troisième type de situation hydrogéologique correspond aux aquifères des calcaires fissurés. Le Jurassique supérieur, en général calcaréo-marneux et peu perméable, contient dans ses zones d’affleurement * une nappe superficielle circulant dans une frange d’altération et de fissuration. L’épaisseur de cette frange est rarement supérieure à 30 m et sa base est caractérisée par une couleur gris-bleu, le « banc bleu » des foreurs, qui matérialise l’absence d’eau contrairement à l’aquifère qui présente une couleur plutôt ocre (oxydation). Les eaux circulent globalement vers la rivière selon la topographie, dans le réseau de fissures et de plans de stratification. Ce réservoir est peu capacitif (stockage de l’eau) mais assez fortement transmissif (perméabilité *). Le régime des rivières traduit ces propriétés : l’été, la nappe s’épuise rapidement, son niveau peut descendre au-dessous de celui de la rivière qui perd alors ses eaux à son profit, ce qui peut entraîner de sévères assecs, l’hiver, la nappe se remplit rapidement et peut « déborder », d’où une tendance à l’inondation dans les zones basses lors de fortes pluies.
- Schéma de la structure de l’aquifère fissuré du Jurassique supérieur
On trouve ces systèmes aquifères dans une grande partie de la Charente, du Nord de la Charente-Maritime, du Sud des Deux-Sèvres et plus marginalement dans le Nord de la Vienne. Les bassins versants principalement concernés sont la Pallu, les Dives du Nord et du Sud, le Mignon-Courance, le Curé, l’Aume-Couture, l’Antenne, la Boutonne, la Gère et la Devise. Dans ces bassins versants, les prélèvements souvent importants (et peu profonds : les forages font quelques dizaines de mètres de profondeur) viennent aggraver une situation à l’étiage naturellement difficile.
- Calcaires fissurés du Jurassique supérieur sur le littoral charentais
En ce qui concerne les calcaires et marnes du Jurassique supérieur, de nombreux indices suggèrent que l’origine de la frange d’altération superficielle est vraisemblablement à rechercher dans les derniers phénomènes glaciaires du Quaternaire (Wurm*, -15 000 ans environ). A cette époque, la région était située au Sud de la calotte glaciaire et les sols étaient soumis à des épisodes de glaciation/déglaciation à l’image des sols gelés de la Sibérie actuelle.
Les aquifères des formations sableuses
- Extension des principaux aquifères sableux
Enfin, le dernier type d’aquifère * correspond au réservoir à matrice sableuse. L’eau est contenue entre les grains de la matrice. Ces réservoirs sont fortement capacitifs mais en revanche peu transmissifs. L’espace inter-granulaire peut en effet emmagasiner beaucoup d’eau (le pourcentage de vide par rapport au plein peut dépasser 20%), en revanche cette eau circule lentement. Comme d’importants volumes d’eau peuvent être stockés dans un faible volume de réservoir sableux, il faut des apports d’eau importants pour que le niveau de la nappe augmente de manière significative. Les graphes des piézomètres* montrent en général des battements annuels faibles entre hautes et basses eaux. Le réseau hydrographique est dense sur un tel substratum. Par ailleurs, le débit des rivières est assez soutenu par ces nappes en période d’étiage.
- Structure d’un aquifère sableux comme le Cénomanien en Vienne
On rencontre principalement ce type de contexte au Nord de la région, dans le Bassin de Paris, sur le Cénomanien, au Sud, dans le Bassin aquitain, sur les formations sablo-argileuses du Tertiaire. Dans les vallées, les placages alluviaux sont formés par des sables et des graviers plus ou moins argileux qui renferment également ce type de nappe .
- Porosité matricielle entre les grains de quartz d’un grès du Miocène (86)
La loi de Darcy
L’observation de l’écoulement de l’eau à travers un sable a permis à Henry Darcy, ingénieur des Ponts et Chaussées né à Dijon en 1803, d’établir la loi de l’écoulement de l’eau à travers un milieu poreux : « le volume débité est proportionnel à la charge et en raison inverse de l’épaisseur de la couche traversée ». Autrement dit : plus la couche d’eau est importante, plus celle-ci percole rapidement dans le milieu. Depuis sa formulation, la loi a évolué pour s’appliquer à d’autres milieux et d’autres fluides (huile, gaz).
- La loi de Darcy
Dans le schéma, Q : valeur du débit ; K : coefficient de perméabilité du milieu poreux ; A : surface.
Des eaux vulnérables en quantité comme en qualité
- Tardoire à sec (16)
• Du fait de la faible profondeur des aquifères * et des étroites relations avec les rivières, les prélèvements d’eaux souterraines entrainent des conflits d’usage principalement en été entre irrigation agricole, exploitation pour l’eau potable, usagers des cours d’eau et préservation des milieux, et, à l’aval, activités ostréicole et mytilicole.
• Ces relations entre surface et eaux souterraines entraînent la dégradation de la qualité de la plupart des aquifères . Les teneurs excessives en nitrates et pesticides (pollutions agricoles et urbaines) conduisent à l’abandon de nombreux ouvrages qui exploitent l’eau potable.
• Le suivi de l’évolution des niveaux de l’eau dans les forages montre que les nappes se rechargent d’une année sur l’autre. Il n’y a pas, en règle générale pour les aquifères de la région, d’évolution sur le long terme, avec une baisse progressive des niveaux, mais des cycles annuels avec une rareté de la ressource en été.
• Il existe toutefois dans les parties les plus profondes des 2 bassins sédimentaires des nappes captives, protégées de la surface mais en contrepartie plus difficilement renouvelées et leur exploitation peut entraîner des baisses progressives de leur niveau. Ces eaux sont en général anciennes (plusieurs dizaines de milliers d’années) et sont très minéralisées, donc « non-potables », et à température élevée.
Les relations nappe /rivière
- Cycle hydrogéologique annuel, bassin du Né (16)
L’exemple pris dans le bassin du Né (Charente) comparant, sur le cycle sept. 2002/sept. 2003, les évolutions journalières de la pluie, du débit aval de la rivière et du niveau de la nappe illustre les relations nappe -rivière* et le cycle annuel de l’hydrosystème*.
A la fin du mois d’août, les nappes et les rivières se trouvent à leur niveau le plus bas. Les premières pluies de la fin de l’été et de l’automne rechargent la Réserve Utile* du sol (RU) (en moyenne 100 mm). Nappes et rivières ne réagissent pas à ces pluies.
Au cours du mois de novembre, la nappe (courbe verte) se recharge progressivement. La rivière (courbe bleue) réagit peu aux pluies.
Au cours de l’hiver, les nappes sont pleines, les rivières réagissent très significativement aux pluies. Le niveau de la nappe peut aussi monter et redescendre très rapidement, comme c’est le cas sur le graphe, traduisant l’existence d’une partie capacitive, qui emmagasine* de l’eau (sous le trait horizontal noir), et une partie supérieure de milieu fissuré qui se remplit et se vidange rapidement (au-dessus du trait).
A partir du mois de mars la zone capacitive de la nappe se vidange progressivement et permet de soutenir l’étiage de la rivière.