L’« Étude et protection des gallaselles et de leurs habitats aquatiques souterrains en Poitou-Charentes »

La Gallaselle, Gallasellus heilyi, est un petit crustacé endémique des eaux souterraines   du grand centre-ouest de la France. Elle a été retenue comme «  espèce prioritaire  » par les instances du Ministère en charge de l’Environnement (circulaire du 13/08/2010), et classée « vulnérable » sur la Liste rouge nationale des espèces menacées (UICN-MNHN, 2012).   
En 2012, l’ex DREAL Poitou-Charentes avait missionné l’association Poitou-Charentes Nature pour réfléchir à un plan de protection et de sauvegarde de la Gallaselle. Pour ce faire, l’association avait proposé un programme d’études visant à mieux connaître sa répartition, ses habitats, et les menaces potentielles qui pèsent sur l’espèce, afin d’envisager la mise en place de mesures de protection adaptées et concrètes…
Le projet verra sa phase opérationnelle se réaliser de juillet 2013 à décembre 2015, avec des collectes de terrain effectuées sur l’ensemble du Poitou-Charentes, et des analyses plus poussées en laboratoire.
Ce programme a été soutenu financièrement par la fondation LISEA Biodiversité, l’Agence de l’eau Adour-Garonne et par l’ex Région Poitou-Charentes.

Le projet s’intéressait initialement à la Gallaselle mais toutes les autres espèces aquatiques souterraines collectées (= stygofaune) ont été systématiquement inventoriées durant cette étude. L’échantillonnage s’est effectué sur 129 sites à l’échelle de l’ex-région du Poitou-Charentes, couvrant ainsi les 4 départements (Vienne, Deux-Sèvres, Charente et Charente-Maritime), 5 grands bassins versants (Charente, Loire, Garonne, Sèvre niortaise, Seudre), et les 4 grands types d’aquifères   présents en région (karstique  , fissuré, sableux/alluvionnaire et de socle), permettant ainsi de dresser un premier inventaire régional de cette faune méconnue.
Au terme de la campagne d’échantillonnage, 22 nouveaux sites à gallaselles ont été identifiés (fréquence d’occurrence de 17%), portant à 31 le nombre total de sites connus.

Un tableau synthétique présente le pourcentage de sites « positifs » à gallaselles par rapport au nombre de sites prospectés, selon les différents découpages effectués : hydrologique, géologique, hydrogéologique, et départemental. L’habitat préférentiel des gallaselles semble être les aquifères   calcaires du Secondaire (-251 à -65 millions d’années), qu’ils soient karstiques   ou fissurés, comme en témoigne la probabilité d’occurrence des gallaselles dans ces types de milieu (cf. Tableau 1).

(rapport de recherche Poitou-Charentes Nature 2016)

Des analyses physico-chimiques ont été réalisées sur chacun des sites prospectés, afin de pouvoir identifier les paramètres qui caractérisent les différents sites, qu’ils abritent ou non des gallaselles.

Cette comparaison n’a révélé qu’une unique différence entre les sites à gallaselles et les autres sites : la concentration en nitrates  , qui se trouve être légèrement plus élevée dans les sites à gallaselles. Cependant, les valeurs enregistrées sur ces sites restent modérées et à 95% inférieures à la norme de potabilité des eaux telle que définie par l’OMS (50 mg/L).
À ce stade, il est raisonnable de parler de tolérance plutôt que de préférence des gallaselles vis-à-vis des nitrates  . Par ailleurs le facteur nitrates   semble auto-corrélé avec la nature géologique du sous-sol, qui se trouve être des aquifères   calcaires du Jurassique (karstiques   et/ou fissurés), ces aquifères   étant particulièrement perméables aux intrants azotés.

(rapport de recherche Poitou-Charentes Nature 2016)

Résultats des analyses de laboratoire

Au total, 228 spécimens de gallaselles ont été collectés dans l’optique de réaliser des mesures biométriques, et des expériences/élevages en laboratoire (en lien avec l’université de Poitiers notamment, dans le cadre d’un stage de Master 2 de Marjorie Delangle). À noter que ces spécimens ont été majoritairement prélevés dans 4 « sites ressources » présentant des effectifs suffisamment abondants pour ne pas mettre leurs populations en danger (1 site proche de la rivière souterraine   de Bataillé, 79, et 3 autour de Poitiers, 86).

Œufs et embryon de gallaselle en élevage, au laboratoire de biologie animale de l’université de Poitiers (photographies M. Delangle, rapport d’études Poitou-Charentes Nature, 2016)

Concernant les observations biologiques, les analyses ont mis en avant un sex-ratio significativement biaisé en faveur des femelles (2 femelles pour 1 mâle). L’examen biométrique a montré une distribution équilibrée des cohortes de tailles, mais a révélé un dimorphisme significativement biaisé en faveur des femelles (longueur d’environ 4 mm en moyenne pour les femelles contre 3 mm pour les mâles).

Des conditions optimales d’élevage ont pu être définies après répétitions des essais pour obtenir les meilleurs paramètres possibles pour la conservation et le maintien des spécimens hors de leur milieu naturel. Cela a notamment permis de prendre les premiers clichés de ces animaux à différents stades de développement, et de consigner quelques premières observations biologiques et comportementales.

Le régime alimentaire des gallaselles n’ayant jamais été spécifiquement étudié, des expérimentations ont été menées afin de tester l’importance suspectée des biofilms dans la survie des individus. Des bacs expérimentaux ont été mis en place avec un environnement de matière organique aseptisé, tandis que des bacs témoins étaient maintenus sans aseptie. Au terme de trois semaines de suivis, les expériences ont état de mortalité précoce et massive pour les individus élevés dans un milieu aseptisé, laissant entrevoir le rôle clé joué par les biofilms dans la survie et potentiellement de régime alimentaire des gallaselles.

Après une étude plus poussée à base d’isotopes radioactifs (en partenariat avec l’université de Jyväskylä, Finlande), il a été révélé que les gallaselles se nourrissent principalement de matière organique en décomposition (à hauteur de 40%) et de biofilms (à hauteur de 33%), et qu’elles sont elles-mêmes les proies des crustacés Niphargus (Ercoli et al., 2019).

Par ailleurs, des analyses génétiques menées en parallèle (en partenariat avec l’université de Lyon) semblent attester de l’existence non pas d’une espèce, mais de plusieurs espèces de gallaselles…

Faune associée

Pour chaque site prospecté, les hydrobiologistes ont procédé systématiquement à un inventaire de la faune associée pour élargir la connaissance de la stygofaune présente en Poitou-Charentes.

Les résultats, par classement de fréquence d’occurrence des principaux groupes taxonomiques, sont les suivants :
• crustacés (91% d’occurrence, trouvés sur 118 sites)
• mollusques (74% d’occurrence, trouvés sur 96 sites)
• annélides (60% d’occurrence, trouvés sur 77 sites)
• arachnides (9% d’occurrence, trouvés sur 12 sites)

Tous ces grands groupes faunistiques possèdent des représentants stygobies à forte valeur patrimoniale et/ou scientifique, avec certains taxons très endémiques.

Dans chaque groupe taxonomique, un certain nombre d’espèces et sous-espèces a pu être identifié (30 taxons a minima), pour la plupart inconnues jusque-là en région, et dont certaines sont possiblement des espèces nouvelles pour la Science (aux dires des experts consultés).

Qualité des eaux souterraines   et bio-indication

Les paramètres physico-chimiques relevés ont permis d’étudier plus globalement la qualité des eaux souterraines   au niveau des sites de prospection. Ces mesures ont pour but d’essayer de trouver des corrélations entre les différents sites et la faune qui y vit pour tenter de mettre en place des bio-indicateurs de la qualité des eaux souterraines  .

Le seul paramètre présentant des variabilités entre les sites avec et sans gallaselles est la concentration en nitrates  . Les concentrations enregistrées en nitrates   sont très variables, avec 7 sites présentant des valeurs élevées entre 50 et 100 mg/L (le seuil de potabilité de l’OMS est fixé à 50 mg/L). À l’échelle régionale, seuls quelques sites insulaires et littoraux-dunaires, ou sur socle granitique, ont présenté des concentrations en nitrates   nulles ou équivalentes aux concentrations naturelles (environ 5 mg/L).

Conclusion

Aucun des groupes taxonomiques identifiés ne se révèle particulièrement polluo-sensible ou polluo-résistant. Les gallaselles ne semblent pas particulièrement sensibles aux variations des paramètres physico-chimiques suivis.

Cette étude n’a pas permis de conclure sur la potentialité de bio-indication de la stygofaune avec les données récoltées. Cependant, la bio-indication par la stygofaune n’est pas à écarter ; elle nécessiterait notamment de collecter un plus grand nombre de données sur une échelle plus large, et de disposer d’analyses physico-chimiques plus fines.

La finalité première de ce programme d’études étant la protection et la sauvegarde des gallaselles, l’ensembles des sites prospectés ont été comparés sur plusieurs critères  :
• effectif populationnel en gallaselles,
• richesse du cortège faunistique associé,
• potentialité du site en termes de conservation/communication.

Au terme de ce processus, 4 sites ont été proposés à protection, à raison d’un site par département :
• L’ensemble fontaine et aqueducs souterrains de Tusson (bassin   de l’Aume, alimentant La Charente, 16)
• La rivière souterraine   de Bataillé (alimentant la Somptueuse, affluent de la Boutonne, et de La Charente, 79)
• Le bassin   versant du ruisseau du Roi (affluent de la Boutonne, et de La Charente, 17)
• Le bassin   versant du ruisseau des Dames (affluent du Clain, de la Vienne, et de La Loire, 86)

Delangle M. (2014). Écologie et biologie des populations de Gallaselle(s). Rapport de stage, université de Poitiers, 50 p. : https://drive.google.com/file/d/0B_…
Ercoli F., Lefebvre F., Delangle M., Godé N., Caillon M., Raimond R. & Souty-Grosset C. (2019). Differing trophic niches of three French stygobionts and their implications for conservation of endemic stygofauna. Aquatic Conservation, 29 : 2193–2203 (DOI : 10.1002/aqc.3227)
Poitou-Charentes Nature (2016). Étude et protection des gallaselles et de leurs habitats aquatiques souterrains en Poitou-Charentes. Rapport final d’études, 72 p. : https://hal.archives-ouvertes.fr/ha…

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